Cartographier le parcours de la guérison par l’expression artistique

L’infirmière clinicienne spécialisée Emily Phillips a recours à l’artisanat pour connaître les expériences vécues par les patients après une chirurgie à cœur ouvert à l’Hôpital Saint-Boniface.

Le 18 septembre 2025

Une chercheuse de l’Hôpital Saint-Boniface emploie des cure-pipes, des paillettes et des marqueurs de couleurs vives pour en faire des instruments de recherche médicale à l’Hôpital Saint-Boniface.

Emily Phillips est infirmière clinicienne spécialisée rattachée au programme de sciences cardiaques, et doctorante en sciences appliquées de la santé à l’Université du Manitoba. Elle a réussi à produire l’une des toutes premières définitions de la mobilisation précoce après une chirurgie cardiaque en invitant d’anciens patients à décrire leur expérience au moyen de l’art, en un processus qu’on nomme la cartographie corporelle.

Pour trois jours en juin 2024, Emily Phillips et son équipe de recherche ont tendu une invitation à d’anciens patients ayant subi diverses interventions à cœur ouvert (pontage, chirurgie valvulaire, etc.) afin de les faire revenir à l’Hôpital Saint-Boniface un à deux ans plus tard. L’équipe les a réunis à l’Institut I. H. Asper à l’Hôpital, et a demandé à deux groupes de participants à quoi ressemblait leur retour à la mobilité après la chirurgie cardiaque.

La chercheuse a distribué à chaque personne des rouleaux de deux mètres de papier pour affiches, des marqueurs, de la colle, des autocollants, des ciseaux, du papier à bulles et toutes les fournitures d’artisanat dont elle pouvait avoir besoin pour réaliser sa cartographie corporelle.

« L’expression artistique est un outil puissant pour mettre les patients aux commandes et les laisser raconter leur histoire à leur guise », explique Emily Phillips. « Si je leur demandais ce qui s’est passé au moment de commencer à bouger après l’opération chirurgicale, leur expérience était difficile à décrire en mots. Leur récit était bien différent de ce que racontait leur cartographie corporelle. »

Une cartographie corporelle est une représentation grandeur nature du corps d’une personne, un peu comme un autoportrait croqué à un moment précis. On a donné aux anciens patients l’occasion de décrire les endroits de leur corps où survenait la couleur, ce qu’il en était de retrouver leur mobilité, et les pensées qui leur venaient à l’esprit à l’unité de soins intensifs après l’intervention chirurgicale.

La définition de la mobilisation précoce demeure vague

« Il est extraordinaire de constater à quel point l’art peut exprimer beaucoup plus que les mots. Si je veux comprendre vos pensées, je vous le demanderai avec des mots, mais si je veux vraiment comprendre l’expérience que vous avez vécue, l’art devient un outil puissant qui sait accompagner les mots. Il nous permet de nous exprimer tellement plus », précise Emily Phillips. « Nous n’avons pas dégagé de définition consensuelle de ce qu’est la mobilisation précoce, à l’unité de soins intensifs ou après l’intervention chirurgicale », indique-t-elle.

« D’après la façon dont les participants ont décrit leurs mouvements, nous avons créé la première définition établie par les patients de ce qu’est la mobilisation précoce après une chirurgie cardiaque. Cette nouvelle définition émane des patients et de l’équipe de l’unité de soins intensifs, et c’est la première fois que je prends connaissance d’une telle chose. »

D’anciens patients ont décrit la douleur et la confusion qu’ils avaient éprouvées

« Si nous ne comprenons pas ce que les patients vivent, nous n’arriverons pas à leur fournir les meilleurs soins. »

Le projet a été financé par une subvention des Instituts de recherche en santé du Canada.

Les participants ont dessiné leur corps – certains le montraient couché, et d’autres, assis. Pendant qu’ils s’efforçaient de raconter leur histoire, ils se sont mis, à un moment donné, à regarder la carte corporelle les uns des autres en posant des questions et en formulant des suggestions. « C’était formidable de les voir travailler ensemble », souligne Mme Phillips.

À la fin de la journée, on leur a demandé de donner un titre à leur carte corporelle. Il y a eu, par exemple, Je revis, Aïe!, Jour de confusion, et Bouger! Vraiment?

Le lendemain, les participants sont revenus pour tenir des discussions de groupe sur leurs cartes corporelles. « Donc, ce n’était pas nous qui interprétions le contenu de leurs cartes corporelles; ils nous ont dit ce que les illustrations signifiaient, se rappelle Mme Phillips. C’était étonnant de les voir s’enthousiasmer et hocher la tête! Nous les voyions évoquer des expériences semblables et les revivre. »

Il aurait été difficile de mal interpréter certaines illustrations de la douleur, par exemple celle du patient qui avait dessiné des ciseaux rouges enfoncés dans son dos. Un autre avait collé des roches sous ses pieds pour montrer à quel point il s’était senti instable après son opération.

« Je ne m’attendais pas à ce que les patients aient éprouvé la douleur de façons différentes. Je m’attendais plutôt à des propos tels que « La jambe me faisait mal » et « La poitrine me faisait mal ». La mention de la douleur au dos, ou de la sensation de pression sur les épaules m’a surprise, et ces éléments nous auraient sans doute échappé si nous nous étions contentés de poser des questions », affirme Mme Phillips.

Quelques participants s’étaient entouré la tête de tampons d’ouate pour illustrer la confusion ressentie à l’unité de soins intensifs (USI). « De nombreuses personnes ont évoqué l’emploi de tampons d’ouate pour décrire leur confusion. Il était surprenant de voir à quel point ils décrivaient de la même façon leur expérience à l’USI. Je ne comprenais ni l’ampleur de la confusion, ni la peur, ni le flou qui persiste et ni sa durée. »

Prochaine étape : partager les constats avec l’équipe des soins

Avant l’obtention prévue de son diplôme au printemps de 2026, Mme Phillips continuera de partager les conclusions de sa recherche avec l’équipe des soins de santé de l’USI, à l’Hôpital.

« Quand nous disons “ mobilisation précoce ”, si nous pensons tous à quelque chose de différent, nous ne parlons pas la même langue. Nous n’arriverons pas à bien travailler en équipe. Si nous ne comprenons pas ce que le patient vit, nous ne parviendrons pas à lui prodiguer les meilleurs soins possibles », fait remarquer Mme Phillips.

« Comment explorer et décrire ces expériences? Comment changeons-nous la façon dont nous assurons les soins pour mieux soutenir les patients, ou mieux harmoniser nos efforts avec ce qu’ils veulent? Entre-temps, le personnel agit en fonction de ce qui lui semble être ce qu’il y a de mieux pour les patients. Comment allons-nous l’aider au moyen de nouvelles connaissances qui lui permettront de bien faire son travail? »


Vous êtes l’atout secret de la recherche médicale novatrice à l’Hôpital St­Boniface. Faites un don aujourd’hui.